Après la tempête: Quid de vatican II?

Analyse de Pierre de Charentenay, dans la revue Etudes, avril 2009

Et le concile Vatican II ?
 

Quelques semaines après la fièvre médiatique qui a suivi la levée de l'excommunication de quatre évêques intégristes par Benoit XVI, il importe qu'on y revienne. Le père de Charentenay, jésuite, le fait autour de trois questions, dans l'éditorial de la revue Etudes de avril 2009.


Le schisme ayant pour origine un évêque français, Mgr Lefebvre, et les intégristes étant les plus nombreux dans ce pays (80 000 sur 200 000 dans le monde), les répercussions de cette affaire allaient être considérables dans une France dont la vitalité religieuse est largement mise à mal par une réduction considérable du nombre de pratiquants et de prêtres.

 

L'explosion médiatique s'est produite à partir des déclarations négationnistes de Mgr Williamson. Des amalgames ont immédiatement suivi. Puisque l'excommunication de cet évêque était levée, le pape ne pouvait qu'approuver indirectement ses propos. Pour contrer ce soupçon, Benoît XVI a dû répéter à plusieurs reprises, et très solennellement, devant une assemblée de juifs réunis au Vatican, qu'il n'avait à aucun moment approuvé le négationnisme. Sa position est donc sans ambiguïté. Mais l'ampleur du phénomène médiatique ne peut pas être sous-estimée: beaucoup de croyants et de non-croyants n'ont pour tout contact avec l'Eglise que ce que les médias en disent. Ceux-ci façonnent aujourd'hui la culture et la réflexion de la majorité des citoyens. L'effet de cet imbroglio est désastreux car la confusion s'est alors installée entre l'Eglise, le négationnisme, et l'intégrisme. Il a désespéré bien des catholiques engagés dans la vie quotidienne de l'Eglise. D'autant plus que les évêques français n'avaient pas les informations pour réagir comme il aurait fallu.
Cette affaire bien regrettable a fait apparaître trois questions:

 

Quelle gouvernance dans l’Eglise ?


La première est celle de la gouvernance dans l'Eglise. Pour la première fois peut-être, des personnalités de la Curie romaine se sont plaintes du fonctionnement interne des décisions au sommet de l'Eglise. Des cardinaux l'ont exprimé à haute voix. L'interview dans La Croix du Père Lombardi, porte-parole du pape, est à ce propos un morceau d'anthologie. Il dit clairement que, dans cette affaire, la communication n'a pas fonctionné entre les partenaires des décisions, le cardinal Castrillon Hoyos étant personnellement visé par ces propos. Il aurait géré en solitaire cette opération de levée de l'excommunication sans en avertir quiconque. Ainsi, il est inconcevable que les évêques français n'aient pas été au courant de ces projets. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois, puisque lors de la création de l'Institut du Bon Pasteur à Bordeaux dépendant du même cardinal, Rome a fait des déclarations avant même que le cardinal-archevêque de Bordeaux n'ait été averti. Le problème est d'autant plus sérieux que nous sommes dans une société de communication où les médias ne laissent rien passer des à peu près d'une mauvaise communication. A fortiori si des erreurs graves sont commises. La collégialité n'a pas fonctionné. La centralisation médiatique sur le pape Jean Paul II était gérée avec une grande compétence. Mais dans cette omniprésence de la papauté, les conférences épiscopales, qui devaient fournir un relais entre le pape et les évêques, ont été peu à peu marginalisées. Dans ce contexte, Benoît XVI a fait une confiance imméritée au cardinal Castrillon Hoyos pour gérer la mise en œuvre de cette levée d'excommunication, ce qui a révélé un grave défaut de gouvernance.

 

L’unité de l’Eglise ?
 

 

La deuxième question qui se pose est bien celle de l'unité de l'Eglise. Certes, une diversité existe dans l'Eglise comme en attestent les rites orientaux ou le respect de liturgies traditionnelles, y compris depuis peu avec des statuts spécifiques donnés à certains groupes comme l'Institut du Bon Pasteur. Mais pour des raisons théologiques et religieuses, Benoît XVI est attaché à ce que le schisme provoqué par Mgr Lefebvre ne puisse perdurer indéfiniment. Il ne veut pas qu'il s'installe dans le paysage chrétien, comme d'autres schismes auparavant, divisant la Maison du Père. Aussi a-t-il décidé de lever leur excommunication, courant le risque de graves conséquences médiatiques, et sous-estimant probablement l'arrière-fond politique qui motive ces quatre évêques intégristes.

 

Vatican II
 

 

La dernière question est plus fondamentale, car elle touche au rapport à Vatican II, ce que les chrétiens ont bien compris. Les évêques intégristes doivent manifester leur accord avec la pensée de l'Eglise sur les sujets mêmes qui les ont menés à s'en séparer il y a une trentaine d'années. Le concile Vatican II doit être l'objet d'une discussion et d'un accord de leur part. Si les textes que ce concile a produits ne sont pas des dogmes, ils ont toute l'autorité d'une approbation par un concile universel et des votes à 98 % de tous les évêques du monde. Ils ne sauraient faire l'objet d'une négociation, notamment les textes qui concernent le rapport aux autres religions, et la liberté religieuse. Or les points de vue émis par les intégristes laissent les plus grands doutes à ce sujet. Leur réintégration ne peut passer que par cette acceptation de Vatican II, après les accommodements liturgiques qui ont déjà été faits. Or la stratégie des intégristes n'est pas celle d'un dialogue, mais d'une conquête progressive. Chaque geste d'ouverture du Vatican est transformé en victoire, comme s'il s'agissait d'une guerre qu'il faudrait gagner, sans jamais entrer dans un processus de vrai dialogue. Tout cela peut encourager les traditionalistes de toutes sortes, puisque Rome semble céder. Cette stratégie a pu faire illusion un temps. Mais les évêques intégristes sont maintenant au pied d'un mur qui ne peut pas bouger puisqu'il est fondé sur le dernier concile œcuménique.


Cet imbroglio a eu une conséquence positive: il a situé Vatican II au cœur du débat. Les catholiques qui font vivre l'Eglise parfois dans de grandes difficultés ont réalisé que ce concile était bien la base de leur vie ecclésiale, alors que les intégristes semblent toujours le refuser. Ils peuvent maintenant s'appuyer sur ce concile du XXème siècle qui a ouvert les portes de l'Eglise à la mission universelle, en dialogue avec la culture contemporaine et les autres religions.

Pierre de Charentenay s.j.
Etudes, avril 2009