Résurrection et réincarnation

 

 

Enquête sur deux convictions que défendent les uns ou les autres, de par le monde.
La fête de Pâques vient raviver les débats entre ceux qui croient qu'après la mort, il y a quelque chose. D'autres ne se prononcent pas; d'autres encore affirment catégoriquement qu'il n'y a rien après. A quelles réalités physiques ou métaphysiques peuvent renvoyer ces deux mots, résurrection et réincarnation?
Les deux convictions, en la résurrection ou en la réincarnation, sont avant tout l'expression d'une protestation et d'un refus de l'homme devant la mort. "Il n'est pas possible que cette merveilleuse histoire qu'est la vie débouche sur la cendre et le néant".

 
Enquête étymologique
Voici deux mots de notre langage français, qui semblent bien proche l'un de l'autre. Tous deux commencent par le préfixe "re", qui laisse deviner un retour, un recommencement... L'un est composé avec la racine surgere , mettre en mouvement, surgir, l'autre avec la racine caro-carnis, chair . Pour l'un il signifie relever, remettre debout, pour l'autre, c'est un retour dans la chair. Ces premiers indices, à partir de l'origine des mots laissent deviner plus qu'une nuance.

 Ces deux convictions qui traversent la modernité trouvent leurs origines en deux univers de pensée, deux philosophies, deux conceptions religieuses de l'existence humaine.

Enquête en philosophie
 

 


La résurrection.
Le sentiment exprimé par ce mot trouve son origine dans l'expérience juive, deux siècles avant Jésus-Christ. Des croyants furent alors victimes d'une persécution religieuse sans précédent: souffrances, tortures, exécutions, parce que le pouvoir en place voulait extirper de la terre la foi juive. Parmi les persécuteurs : Antiochus Épiphane, de culture grecque. Parmi les défenseurs de la foi: les frères Maccabées (d'où la transcription française populaire pour parler des morts: les macchabées). C'était dans les années 167 à 164 avant J-C. (Les livres 1 et 2 Maccabées rapportent récits et convictions de cette époque)


Les croyants ne pouvaient pas accepter l'idée que Dieu puisse abandonner pour toujours des hommes, des femmes, des enfants qui avaient souffert dans leur chair jusqu'à en mourir, par fidélité à Yahvé, leur Seigneur: "Dieu ne peut abandonner dans la mort son serviteur". Rien de plus, aucune explication ou prévisualisation de l'avenir du futur. C'est une intime conviction.


La réincarnation
La pensée exprimée par ce mot nous vient du monde de l'Inde, de l'Extrême-Orient. L'idée de l'existence d'un Dieu n'a pas la même importance dans les sagesses orientales que dans religions monothéistes. L'esprit qui a habité l'homme cherche à accéder à la purification, à la perfection d'une vie qui lui donnera enfin le repos, débarrassé de toutes les contingences humaines: le nirvana. L'ascèse est l'effort personnel pour accéder à la transcendance ne suppose pas, comme en foi chrétienne, qu'est premier le don d'amour de Dieu, c'est lui qui nous a aimés le premier et donne accès à sa vie. Pour les Hindous monothéistes, la réincarnation s'achève lorsque l'âme individuelle s'abandonne à Dieu (à la divinité), dans cette vie. Au moment de la mort du corps physique, l'âme se libère de la matière et retourne au royaume de Dieu, d'où elle tombée depuis les temps immémoriaux.

Pour les chrétiens, notre vie, nos efforts sont la réponse à l'amour premier de Dieu pour nous, et non le moyen d'accéder à ce qu'il est et ce qui fait sa vie.


Au temps de l'apôtre Paul (10-64 après J-C), nombre de grecs cultivés n'avaient que mépris pour ces religions d'Orient qui laissaient entendre que l'esprit, parcelle de la divinité, pouvait s'enfermer à nouveau dans la matière. Pour eux la mort était libération de l'étincelle de dieu emprisonnée dans le corps. Pour eux, l'esprit, une fois libéré de sa gangue charnelle, il était irraisonnable de penser qu'il puisse désirer renouveler l'expérience d'une vie en humanité.


Corps et esprit
La distinction corps et esprit, traduite par corps et âme dans la pensée chrétienne est un héritage grec, et non un héritage de la Bible. Dans la Bible, l'homme, c'est tout un. Le corps a reçu le souffle de Dieu et devient être de relation, et seul le corps permet d'entrer en relation. La pensée juive pense l'homme en termes d'altérité: Dieu et l'homme; l'homme et la femme; Caïn et Abel; l'alliance, etc. On notera une différence notable dans le respect dû au corps, selon que l'on hérite de la pensée grecque ou de la pensée juive.

 La notion orientale de réincarnation est fondée sur la notion d'inachèvement. Une succession de cycles, de passages ou réincarnations permettra la purification de l'esprit, qui alors, lâcherait la matière pour une vie désincarnée. Pas besoin d'un Dieu sauveur, c'est le progrès individuel dans la recherche de la sagesse qui fait entrer dans un autre monde... on pourrait dire: "gagner son paradis à la force des poignets".

Enquête en théologie.
 

 


La pensée juive affirme, dès le premier chapitre de la Bible qu'une relation s'est nouée entre Dieu et l'humanité (genèse ch. 1 et 2). Plus tard, on parlera de relation d'alliance, une alliance qui se concrétise au sein d'un peuple: le peuple de l'alliance = le peuple juif; le peuple de la nouvelle alliance: le peuple chrétien.


Pour les chrétiens, chacun est unique, aux yeux de Dieu. L'homme est sauvé dès le début de son existence parce que Dieu l'a aimé le premier. Les oeuvres de l'homme ne lui sont pas comptées comme méritantes de... mais elles sont nécessaires pour exprimer l'accord, le cœur à cœur entre Dieu et tout être de chair... puisque Dieu m'a aimé et fait de moi son enfant, à mon tour, je communique ce que j'ai reçu. Le baptême et la communion (eucharistie) signifie le lien unique entre le croyant et Dieu.


La réincarnation ignore cette vie de relation unique; elle ignore l'amour, le don et le pardon de Dieu comme d'un père pour son fils... il faut que l'esprit de l'homme, obtienne par lui-même la paix. Cette différence fondamentale rend incompatibles l'idée de résurrection et celle de réincarnation.


Exprimer la foi chrétienne en la résurrection.
Bien des croix ont été érigées à la croisée des chemins de nos campagnes La croix  
Bien des croix ont été érigées à la croisée des chemins de nos campagnes
Bien des croix ont été érigées à la croisée des chemins de nos campagnes
Nous vivons avec un héritage de deux millénaire durant lesquels s'est développée une imagerie qui favorise sans doute la méditation spirituelle, mais un peu moins l'intelligence de la foi. Si la chose était simple à comprendre, il y aurait belle lurette que l'on aurait trouvé les mots justes de la foi. Coexistent en nous plusieurs représentations de l'amour de Dieu pour nous. L'histoire de l'art peut être une merveilleuse aventure pour progresse dans ce que les évêques appellent le mystère de la foi : "le mystère concerne avant tout l'initiative gratuite que Dieu a prise de se révéler aux hommes, pour sceller avec eux une Alliance indéfectible".

 
Quand on parcourt le Nouveau testament, on ne manque pas d'être étonné du silence de Jésus et des premiers chrétiens concernant les questions "comment cela se passe, qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté?". Seul l'apôtre Paul nous fait une description de l'appel des chrétiens ressuscitant, qui s'inspire du défilé de l'armée romaine sous l'arc de triomphe à Rome. (1 Thessaloniciens). Mais lorsqu'il affirme ce qu'il a reçu et transmis, aucun détail, sinon l'affirmation "Christ est mort, Christ est ressuscité (1 Corinthiens 15).


Les évangiles comportent quelques paragraphes sur "après la croix". Appelés récits de résurrection, ils affirment que le Christ se donne à voir. Ils ne disent pas que le ressuscité "revit comme avant" avec ses disciples. Chacun de ces récits provoque le croyant à croire en la vie de Jésus et à assurer la continuité de l'annonce confiée aux disciples. Quelques lignes ne suffisent pas à rendre compte de leur interprétation.

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Des questions sont posées à Jésus sur "après la mort. Ainsi, quand les incrédules demandent à Jésus de préciser les rapport d'une épouse défunte avec ses divers maris trépassés, Jésus botte en touche (Matthieu 22,25). Plus sérieusement, Matthieu, quelques paragraphes après cette altercation, reprend les paroles du Christ où il dépeint le "dernier jour" où tous sont rassemblés. Alors que l'on attend des détails sur l'au-delà, à la question posée "quand t'avons-nous vu?" le Seigneur de l'univers renvoie au quotidien de notre existence: "j'étais malade, assoiffé, en prison... et vous êtes venu me visiter" (Matthieu 25). Là-haut, il semble que ce qui intéresse le Père, c'est de voir ses enfants subvenir aux besoins les uns des autres. C'est probablement dans l'aujourd'hui que commencent les signes de résurrection.

La résurrection, c'est déjà aujourd'hui.
Quelques titres glanés dans les médias au premier trimestre 2005 accumulent les réalités de la mort et du désastre : « Trente après, le défoliant jaune tue encore au Vietnam » ; « 20 ans après, à Bhopal, on meut toujours de la dioxine », ou « Tchernobyl, ce n’est pas fini ». Il faudrait ajouter : Tchétchénie, Afghanistan, Irak et autres lieux où l’on meurt de par la volonté des hommes. En combien de lieux, la mort fait son œuvre dans l’indifférence et le silence… et pourtant !


A la vague du Tsunami a répondu une autre vague, de solidarité celle-là, pour faire renaître la vie. Face aux ravages du cancer ou du sida, se sont levés des centaines et des milliers de chercheurs et de soignants pour que la vie reprenne le dessus. Soixante ans après la dernière guerre et la Shoah, l’œuvre de paix et de réconciliation rapproche les hommes pour un autre monde. Palestiniens et Israéliens, hier opposés acceptent de jeter des ponts pour la vie. Une dynamique de résurrection est à l’œuvre parce que l’amour est plus fort que la mort.


Alors que les pharisiens interrogeaient Jésus sur ce qui se passera après, Lui renvoyait à l’aujourd’hui : qu’as-tu fait aujourd’hui, as-tu laissé œuvrer l’esprit d’amour ? As-tu mis le souci du frère au cœur de ta vie ? Ce que l’on ne voulait ni voir ni entendre, c’est un Jésus qui accueille, guérit, pardonne : c’est cela qu’ils ont mis en croix. Mais c’est cela même que Dieu a refusé en relevant Jésus d’entre les morts.


Tous ceux qui suivent aujourd’hui le chemin de Jésus, que ce soit les nouveaux baptisés, les acteurs de solidarité, les managers de l’économie rassemblés par l’ACI, les humanitaires et les bénévoles au service de l’humanité souffrante, les parlementaires qui allègent par la loi le fardeau des petits, ceux-là participent de la vie du Christ ressuscité. Ils deviennent visage de Dieu pour l’homme d’aujourd’hui. Ils sont signes que la résurrection n’est pas un vain mot.

Recevons et donnons la vie de Jésus


 


Ressusciter et résurrection, étymologie. Les mots n'arrivent pas pas hasard, mais au fil du temps, on oublie leur origine et la signification originelle, ainsi en est-il des mots ressusciter et résurrection; ils appartiennent à deux familles différentes; on les trouve dès le 12ème siècle.


Ressusciter nous vient de la racine indo-européenne kei- ki, évoquant l'idée de mouvement. En grec kinein, mouvoir, kinesis, mouvement (d'où le mot cinéma). En latin: cier-citus faire venir à soi. En français: citer, réciter. Le récit aujourd'hui prend une grande importance en psychologie, mais aussi chez les catholiques, quand il faut faire venir à la mémoire les évènements passés, parfois enfouis ou dispersés dans la mémoire. Faire le récit d'une histoire, c'est la reconstituer, lui redonner vie, puis la mettre en rapport avec la vie de Jésus, avec les récits de la Bible. Susciter évoque une action forte: faire lever, réveiller. Nous arrivons ainsi au mot résurrection.


Résurrection appartient à une autre famille: surgere, sourdre, source, qui prend racine dans l'indo-européen reg diriger en droite ligne! De là, en latin le mot rex-regis, diriger, ériger (mettre debout); surgere est l'aboutissement de sub-erigere qui donnera insurgere, se dresser pour attaquer, et resurgere, se relever. Résurrection est héritier de cette longue lignée de mots et de sens.


Réincarnation. C'est un mot récent (1875). Il exprime l'incarnation, de nouveau, dans un corps (d'une âme qui avait été unie à un autre corps). Il est étranger au langage chrétien d'où, pourtant il tire son origine: incarnation -12ème siècle-, venu dans la chair. (caro-carnis), issu de l'indo-européen (s)-ker, couper, séparer, partager.


La tradition chrétienne fait appel à trois langages pour parler de résurrection: le langage du réveil (éveiller-réveiller) le langage de l'exaltation (humilié-glorifié, monter. St Jean: élever), le langage de la vie (pourquoi chercher le Vivant parmi les morts?), mais jamais re-vivre. (retour au texte). C'est sans doute un détail qui peut orienter la réflexion d'aujourd'hui, quand elle cherche à rendre compte des convictions des premiers chrétiens. Sans doute notre penchant scientifique nous oriente-t-il vers la matérialité de l'existence... pour la résurrection, il s'agit d'autre chose: se réveiller; se mettre debout; mettre en valeur/exalter une manière de vivre.